Exposition à Rome, Museo nazionale d’arte antica – Palazzo Barberini (1er novembre 2013 – 2 mars 2014)
Antonio Aquili, dit
Antoniazzo Romano (Rome, v. 1435-1440-1508), n’est pas très connu en France.
Les musées français ne possèdent – à ma connaissance – pas d’œuvres de sa main,
et pour la période à laquelle il travaillait, les noms des grands peintres toscans
ou ombriens sont aujourd’hui bien plus fameux que le sien. En outre, il mourut
quand Raphaël et Michel-Ange s’apprêtaient à produire leurs grands
chefs-d’œuvre desStanze et de la chapelle Sixtine, éclipsant subitement tout ce qui les précédait et ouvrant à eux seuls une nouvelle page de l’art romain. L’exposition du palais Barberini, la première entièrement consacrée à Antoniazzo, est ainsi l’occasion de découvrir cet artiste original, qui fut en son temps l’un des plus importants peintres de Rome.
Son grand retable de l’Annonciation avec le cardinal Torquemada, peint en 1500 (la date est inscrite, avec la signature de l’artiste, sur le bord inférieur du panneau), a été transporté au palais Barberini pour l’occasion (fig. 1) : d’ordinaire à demi caché dans la pénombre de l’une des obscures chapelles de Sainte-Marie-de-la-Minerve (Santa Maria sopra Minerva), il est donc exceptionnellement visible en pleine lumière pour quelques semaines encore, ce qui constitue une raison majeure de visiter l’exposition. Malgré d’importants dommages (la surface picturale a complètement disparu par endroits, en particulier sur l’ange), le retable permet d’apprécier ce qui fait le charme d’Antoniazzo : ce mélange de « modernité », pénétrée du style de Domenico Ghirlandaio ou de Filippino Lippi – toutefois déjà un peu éculée au tournant du siècle –, et d’archaïsme, particulièrement dans l’usage du fond d’or. Il en résulte une œuvre hybride, luxueuse et colorée, qui met singulièrement en relief les gracieuses figures. Le retable fut commandé à l’occasion du jubilé de 1500 par la confrérie de l’Annonciation pour le maître-autel de la chapelle dont elle était titulaire dans le bas-côté droit de l’église de la Minerve (la chapelle fut refaite au début du XVIIe siècle). L’œuvre célèbre la mémoire du fondateur de la confrérie, le cardinal Juan de Torquemada (1388-1468), agenouillé près de l’ange annonciateur et présentant à la Vierge trois jeunes filles à doter – l’une des principales fonctions de la confrérie de l’Annonciation.
1. Antoniazzo Romano, Annonciation avec le cardinal Torquemada, 1500.
Rome, Sainte-Marie-de-la-Minerve |
D’autres œuvres peu visibles en temps normal sont rassemblées dans l’exposition, non seulement des retables, mais aussi des fresques, comme celles, monumentales, provenant des murs de la « chambre de sainte Catherine de Sienne » à Sainte-Marie-de-la-Minerve. Divisées depuis 1637 entre cette église et le couvent de Sainte-Catherine a Magnanapoli, elles sont réunies pour la première fois depuis cette époque, et constituent l’un des grands moments de l’exposition, permettant d’appréhender l’art d’Antoniazzo dans le domaine de la peinture monumentale. Un document exceptionnel, qui témoigne véritablement de la position de premier plan de l’artiste au sein de la communauté des peintres romains, est également présenté : il s’agit du registre contenant les premiers statuts de la corporation des peintres, rédigés en 1478. Antoniazzo fut chargé d’orner le manuscrit d’un décor de miniatures, où l’on voit quatre membres de la corporation présentant les statuts à leur saint patron Luc (fig. 2). D’autres documents, provenant des Archives nationales de Rome sont exposés, dans une vitrine non loin du retable de l’Annonciation : un registre qui contient les paiements à Antoniazzo pour cette œuvre, plusieurs lettres évoquant diverses commandes du peintre, et le testament de l’artiste.
2. Statuts de la corporation des peintres, (Università dei pittori). Miniature d'Antoniazzo Romano sur parchemin, 1478. Rome, Académie de Saint-Luc. |
Contrairement à une
tendance regrettable qui touche parfois les expositions « biographiques »
et rétrospectives, celle-ci n’isole aucunement la figure d’Antoniazzo Romano.
Au contraire, dès la première salle, le peintre est clairement inséré dans son
milieu, celui de la peinture romaine du XVe siècle, bien moins connue que celle
de Florence ou de Venise. La question de la collaboration d’Antoniazzo avec
d’autres artistes, comme le Pérugin et Melozzo da Forlì (dont on pourra admirer
l’un des anges peints à fresque pour la basilique des Saints-Apôtres, conservé
à la Pinacothèque vaticane), est également abordée, tout comme celle de
l’atelier de l’artiste. Antoniazzo possédait en effet une bottega très active située sur l’actuelle place Rondanini, non loin
du Panthéon et de la place Navone. Un nombre important d’assistants lui
permettait d’assurer les commandes qu’il recevait de toute la région de Rome.
Beaucoup d’églises du Latium possèdent en effet des panneaux d’Antoniazzo,
rassemblés en grand nombre dans l’exposition. On citera par exemple la très
belle Vierge à l’Enfant de Velletri (fig. 3). Poursuivant
cette problématique, la dernière salle fait la part belle aux successeurs
d’Antoniazzo, notamment son fils Marcantonio Aquili, qui adopta la manière de
son père. Mais après la mort d’Antoniazzo, à Rome, le style de l’artiste était déjà
dépassé, et l’art de ses suiveurs devenu quelque peu provincial.
3. Antoniazzo Romano, Vierge à l'Enfant. Détrempe sur bois. Velletri, Museo Diocesano. Source : site du Museo Diocesano de Velletri. |
Un dépliant très
utile disponible au palais Barberini permet de retrouver dans les églises de
Rome les traces de l’activité d’Antoniazzo. Une manière de prolonger la visite
de l’exposition, en se rendant par exemple au Panthéon, où une Annonciation peinte à fresque est
attribuée à l’artiste (bien que le cartel, dans le monument, indique le nom de
Melozzo da Forlì) ; la basilique des Saints-Apôtres, Saint-Pierre in Montorio ou encore la basilique
Sainte-Croix-de-Jérusalem, font également partie du circuit.
Commissariat : Anna Cavallaro, Stefano Petrocchi
Catalogue sous la direction de Stefano Petrocchi
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