Le musée des Beaux-Arts de Brest renferme une très belle
collection de peintures anciennes, principalement françaises et italiennes. La
collection est récente, car le premier musée de la ville, inauguré en 1877, a
malheureusement disparu dans les bombardements de 1941, avec la quasi totalité
des œuvres qu’il contenait. Le nouveau musée abrite donc des œuvres acquises
pour la plupart à partir des années 1960, l’inauguration ayant eu lieu en 1968.
La collection de
peintures anciennes occupe trois salles du premier étage du bâtiment. La
muséographie est simple et même plutôt banale, ce qui ne gêne en rien la
contemplation des œuvres. Seul véritable hic : comme il arrive
malheureusement assez souvent lorsque des expositions temporaires sont
organisées, une partie des collections permanentes est reléguée en réserve pour
libérer de l’espace. Certaines des œuvres présentées habituellement ne sont par
exemple pas visibles actuellement en raison de l’exposition Enquête sur le bagne. Les dessins de Jules
Noël. Celle-ci dure depuis le mois de mai 2013 et finira dans quelques
jours. Elle occupe la totalité de la dernière des trois salles de l’étage, là
où se trouve normalement la belle Élégie
romaine de Jacques Sablet (fig. 1), invisible donc en ce moment.
1. Jacques Sablet (1749-1803), Élégie romaine ou Double portrait au cimetière protestant de Rome, Huile sur toile, 62 x 74 cm, 1791. Brest, musée des Beaux-Arts. Source : linternaute.com |
Il faut noter toutefois que l’auteur de ces lignes est probablement mal tombé lors de sa visite, puisque l’année 2013 et le début de 2014 ont été marqués par une grande exposition sur la peinture italienne dans les collections de Bretagne, organisée dans les musées de Quimper puis de Rennes. Le musée de Brest y a activement participé en tant que prêteur, et nombre de tableaux brestois ont donc quitté temporairement la ville pour cette noble cause. Était-il pour autant nécessaire de faire disparaître purement et simplement ces œuvres de la documentation disponible pour les visiteurs ? Aucune trace en effet, dans les fiches présentées à l’entrée des salles, de la Mort de Marc-Antoine de Pompeo Batoni (fig. 2), rare tableau d’histoire de l’artiste conservé en France. Œuvre phare des collections brestoises, elle figure même comme motif décoratif sur le mobilier du musée (au moins au premier étage), et a été choisie pour la couverture du catalogue de l’exposition de Quimper et de Rennes ; mais pour ceux qui ignoreraient que le tableau est provisoirement en voyage, elle n’existe tout simplement pas. Et quid de l’Histoire écrivant ses récits sur le dos du Temps de Luca Giordano (1634-1705) ? L’œuvre ne manque pourtant pas de frapper le visiteur par la monumentalité de ses figures et par son mystérieux langage allégorique. Pourquoi donner du musée une image si appauvrie en omettant une telle œuvre dans la documentation sous prétexte qu’elle est temporairement déplacée ? N’est-ce pas un honneur pour un musée que d’autres établissements fassent appel à ses collections pour organiser une exposition, et n’est-ce pas une façon de valoriser son patrimoine que de le faire savoir aux visiteurs ? Au moins un cartel signale-t-il, à l’emplacement de la Sainte Famille de Guy François, (v. 1578-1650), que celle-ci est présentée à Rome dans l’exposition sur Carlo Saraceni au Palazzo Venezia jusqu’en mars 2014.
Fig. 2. Pompeo Batoni (1708-1787), La Mort de Marc-Antoine, Huile sur toile, 76 x 100 cm, 1763. Brest, musée des Beaux-Arts. |
3. Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768), La Piazzetta vers la Tour de l'Horloge, Huile sur toile, 135,5 x 137,5 cm, v. 1727-1728. Brest, musée des Beaux-Arts. Source : Tribune de l'art. |
En attendant que toutes ces œuvres reviennent à Brest, ce
qui devrait être le cas dans peu de temps, il est toujours possible d’y admirer
un certain nombre d’œuvres italiennes de premier plan[1].
Un Canaletto assez troublant par exemple, exposé au Musée Maillol de Paris en 2012-2013 (fig. 3) : loin de ses grandes vedute nettes et lumineuses, le tableau
de Brest est peint d’une touche vibrante et sombre à la fois. Dans une
atmosphère orageuse qui baigne un vaste ciel tourmenté, la Piazzetta de
Saint-Marc y apparaît puissamment dominée sur la gauche par la façade de la bibliothèque
Marciana. La lumière vient frapper l’édifice et en accentue le relief par des
ombres profondes. Le format carré du tableau renforce cette monumentalité, à
peine contrebalancée à droite par la mince présence de la colonne de saint
Théodore, qui guide le regard vers la basilique Saint-Marc.
Non loin de
Canaletto, et pour rester à Venise, on trouvera également un beau Christ aux outrages de Jacopo Bassano
(v. 1510-1592), qui fait surgir de l’obscurité la plus noire des couleurs vives
comme des flammes vacillantes. Dans la première salle – qu’importe le sens de
la visite ! – la Judith et
Holopherne du Guerchin (fig. 4) est débarassée de l’horreur qui baignait
les toiles sur le même sujet de Caravage ou d’Artemisia Gentileschi ; mais
l’inquiétude de la servante compense avec bonheur la tranquillité de Judith et
donne à la scène son caractère d’instant fugitif habilement saisi par le
peintre.
4. Giovanni Francesco Barbieri, dit Le Guerchin (1591-1666), Judith et Holopherne, Huile sur toile, 1651. Brest, Musée des Beaux-Arts. Source : linternaute.com. |
Il faut enfin signaler la présence de deux œuvres d’un
artiste prolifique et bien représenté dans les collections françaises, mais
fort méconnu du public : Jacques Courtois, dit le Bourguignon (1621-1676),
dont la carrière de peintre se déroula toute entière en Italie. Giacomo
Borgognone, comme on l’appelait là-bas, fréquenta très jeune Guido Reni, Pierre
de Cortone ou Michelangelo Cerquozzi, qui furent ses amis. Il travailla dans
plusieurs régions d’Italie avant d’intégrer la Compagnie de Jésus en 1657 et de
s’installer définitivement à Rome, où il passa les vingt dernières années de sa
vie. Son frère, Guillaume Courtois (1626-1679), était également un peintre
réputé dans la cité pontificale, où il collabora avec le Bernin. La grande
spécialité de Jacques Courtois était la peinture de batailles, domaine dans
lequel il excellait. Il avait lui-même connu les combats militaires dans sa
jeunesse, et ses œuvres sont imprégnées de cette expérience : les deux
tableaux de Courtois conservés à Brest, en particulier la Défense d’un pont (fig. 5),sont ainsi emplis d’une énergie et d’une violence
que n’aurait pas reniées l’autre grand peintre de batailles du XVIIe siècle,
Salvator Rosa.
5. Jacques Courtois, dit Le Bourguignon (1621-1676), La Défense d'un pont, Huile sur toile, v. 1650 ? Brest, musée des Beaux-Arts. Source : linternaute.com. |
[1]
Et de magnifiques tableaux français, en particulier une Sainte Famille de Sébastien Bourdon (dépôt du Louvre), L’Éloquence et la Bataille de Josué et des Amalécites de René-Antoine Houasse.